dimanche 4 septembre 2016

LES PHÉNICIENS ONT-ILS DÉCOUVERT LES ACORES ?

Auteur : Roland Comte
Date : 15/11/2014
 Monnaies carthaginoises découvertes aux Açores

Parmi les éléments permettant de penser que les Açores ont été connues bien avant leur "découverte" officielle par les Portugais au XVe s, il en est un qui, s'il pouvait être prouvé, irait dans le sens d'un contact - peut-être accidentel et sans lendemain - avec des marins Carthaginois.

En effet, Donald B. Harden, le grand archéologue anglais, dont l'ouvrage Phoenicians (1948) fait toujours référence, cite comme une certitude la découverte d’un trésor de huit pièces puniques et cyrénaïques, remontant au 3ème siècle avant J.-C. qui fut découvert en 1749 dans l’île de Corvo aux Açores, mais il précise aussi, sans autre indication, qu’il a été perdu.



L'île de Corvo vue du large
 (Source : Wikipedia auteur Dreizung, image dans le domaine public)

C’est à partir de ce mince élément que nous nous sommes lancé dans une enquête pour essayer d’en apprendre davantage sur cette question.

Des amis qui s’étaient rendus aux Açores ont pu obtenir des photocopies, à la bibliothèque d'Angra do Heroismo (Terceira), d'un article de J. Agostinho intitulé "Achados arqueologicos nos Açores" (Découvertes archéologiques faites aux Açores), publié en 1946 dans la revue Açorea, boletim da Sociedade Afonso Chaves, qui donnait le détail de cette découverte.

Selon cet article, les pièces, d'un nombre supérieur à celui indiqué par Harden, avaient été découvertes au mois de novembre 1749 "dans les ruines d'un édifice de pierre ravagé par la tempête sur l'une des côtes de l'île de Corvo". Elles étaient "contenues dans une poterie de terre noire, brûlée. L'ensemble fut transporté dans un couvent et dispersée parmi les quelques érudits résidant dans l'île hormis neuf pièces parmi les mieux conservées qui furent envoyées à Madrid au père Flores, éminent numismate espagnol de l'époque, auteur d'un ouvrage en trois volumes sur les médailles des colonies d'Espagne."


Portrait du père Henrique Florez par Andrés de la Calleja (Musée du Prado) - photo libre de droits

Il faut croire que le destin de ces pièces, originaires d'Afrique du nord, comme celui d'autres objets archéologiques, était de voyager, car le père Flores[1] en fit cadeau à John Podolyn[2], numismate suédois de ses amis, lors d'une visite à Madrid. Ce dernier, dans un article publié en 1778 dans le Bulletin de la Société Royale des Sciences et des Lettres de Göteborg et reproduit par Agostinho, en donne une copie grâce à laquelle nous savons à quoi ressemblaient ces neuf pièces.

-         Les n°1 et 2 sont en or :

·        N°1 représente, à l'avers, un visage de femme et, au revers, un corps de cheval, la tête de l'animal regardant vers l’arrière ;
·         N°2 représente, à l'avers, un palmier et, au revers, une tête de cheval ;

-         Les n° 3 à 9 sont en cuivre :

·        N°3 : à l'avers, visage de femme et, au revers, corps d'un cheval regardant devant lui ;
·        N°4 : visage de femme et tête de cheval regardant devant lui ;
·        N° 5 : visage de femme et tête de cheval et un palmier à l’avant ;
·        N°6 : visage de femme et corps de cheval, tête tournée vers l’arrière ;
·        N°7 : visage de femme et cheval avec, en arrière-plan, un palmier ;
·        N°8 : Visage d'homme d'homme barbu avec des cornes de bélier, à l'avers et au revers un palmier et des lettres difficiles à identifier sur la reproduction ;
·        N°9 : un palmier à l'avers et un cheval, tête tournée vers l'arrière, au revers.

Selon les auteurs, les pièces n°1 à 7 seraient d'origine carthaginoise, les deux dernières (n°8 et 9), d'origine cyrénaïque

La comparaison de ces pièces avec les collections royales du prince de Danemark avait démontré leur authenticité. Celle-ci était aussi reconnue par le célèbre naturaliste allemand Alexander Von Humboldt[3]


Alexander Von Humboldt (portrait par Joseph Karl Stieler) - photo libre de droits

et François-René de Chateaubriand, qui en avait eu connaissance, en parle dans le Mémoires d’Outre-Tombe[4]. L’archéologue norvégien Anton Wilhelm Brøgger (1884-1951) cita cette découverte en exemple lors de son discours d’ouverture du 2ème Congrès International d’Archéologie (1936) dans lequel il défendit l’hypothèse d’expéditions lointaines réalisées déjà à l’âge du Bronze. La thèse de l’authenticité, non des pièces elles-mêmes mais de leur découverte à Corvo, a cependant été remise en cause par Pierre et Patricia Bikai, deux archéologues spécialistes du Moyen-Orient ont suggéré qu’il aurait pu y avoir une confusion sur l’origine géographique des monnaies. Selon eux, elles auraient été trouvé dans un village nommé Corvo, nom assez commun au Portugal, et nom sur l’île de Corvo aux Açores. Cette dernière assertion, si elle était confirmée, nous paraît plus que légère car, même si nous comprenons bien qu’elle permet de balayer facilement toutes les questions posées aux archéologues par une découverte, même fortuite et sans lendemain, des Açores par une expédition carthaginoise, elle fait bien peu de cas de la respectabilité de Podolyn, reconnu comme un éminent numismate, et encore plus du Père Florez, célèbre à son époque comme historien, qui était également traducteur, géographe, chronologiste, épigraphiste, numismate, paléographe, bibliographe et archéologue du Siècle des Lumières. Grand connaisseur de l’histoire de son pays, et du Portugal, c’est lui faire injure que d’imaginer qu’il aurait pu confondre un quelconque Corvo avec l’île de Corvo aux Açores !   


Nous avons comparé ces pièces avec des monnaies phéniciennes publiées dans l'ouvrage "Les Phéniciens" dirigé par Sabatino Moscati (Milan, Bompiani, 1988). les dessins reproduits dans le livre d'Agostinho sont en tout point identiques à ces dernières : 
      
   Monnaie d'or avec au droit tête de Coré et au revers cheval debout (Emission de Carthage, Tunisie, 350-320 av. J.-C.)
Monnaie d'or avec au droit tête de Coré et au revers cheval devant un palmier  (Carthage, Tunisie, milieu IVe-début IIIe s. av. J.-C.)


Pour le moment, le mystère reste entier et nous serions heureux de toute contribution de la part d’un de nos lecteurs qui pourrait l’éclairer.  





[2] Johan Frans Podolyn célèbre numismate suédois (né à Lisbonne en 1739, mort à Göteborg  en 1784
[3] In : Examen critique de l’histoire et de la géographie du Nouveau Continent, Paris, Libr. De Gide, 1857 [Google books]
[4] Livre V, p. 339 de l’éd. Garnier, 1910 [Wikisource]. 

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